Ils m'avaient mis dans un train, escorté par un surveillant. Il parait que j'ai traumatisé à vie la geek de première classe qui m'a retrouvée dans la douche. Je porte un grand t-shirt par dessus un chandail à manches longues. Cacher mes bras. Ils sont tous là à les fixer sinon. La rumeur s'est vite répandue au pensionnat et s'ils avaient eu une vision infrarouge, ils auraient tous voulu voir les crevaces dans ma peau. Sales petits monstres. Tous semblables, du physique, jusqu'au fond des yeux.

Autant je ne voulais pas être là-bas, autant je sais que je vais détester ça ici. Je n'ai jamais le choix. Toujours balancée d'un côté ou de l'autre, sans que personne ne me demande mon avis. Parce qu’où je voudrais être, c'est nulle part. Ils ne savent même pas me laisser crever en paix. J'entoure une mèche de mes cheveux au bout de mon doigt, regardant distraitement le paysage. J'ai la tête qui tourne d'images et de souvenirs. Toutes ces choses que je voulais oublier. Maman, qui n'a même pas pris la peine de m'appeler pour savoir si je suis toujours envie. Un sale e-mail pour me dire que j'ai un beau-père et un frère adoptif et qu'on deviendra une grande famille heureuse. Bullshit!

J'ai semé mon surveillant, prétextant devoir aller aux toilettes. Je me retrouve dans le wagon restaurant, à me demander ce que je fais ici. Je me dis qu'il faudra bientôt que je me trouve un dealer à London, puisque je ne tiendrai pas longtemps avec deux grammes d'herbe et un cachet. Je me dis que je ferais bien de tout fumer dans les toilettes, pour éviter que ma mère les trouve si elle décide de fouiller mes affaires. C'est comme ça que je me suis retrouvée en pensionnat. Bien des choses qu'ils n'approuvaient pas, qu'ils ne comprenaient pas. Je hausse les épaules et commande un verre de lait, avec laquelle j'avale mon dernier cachet. Autant amortir l'arrivée, le retour.

Lorsque le roulement, m’ayant distrait pour un moment déjà, cesse, je réalise avec regret, que je suis arrivée. Je me lève, mes pieds sont légers, et je souris mollement. Préférant un monde imaginaire à celui qui m’attend. Je finis par retrouver ma valise, pleine d’objets sans grande importance. Un sac pour m’alourdir, des souvenirs pour m’encombrer. Je sors la dernière du train, traînant des pieds, poussée par le contremaître à quitter le wagon. Je me retrouve sur le quai, regardant avec de grands yeux l’espace qui m’entoure à travers un voile de cheveux bruns que je ne peux me résoudre à dégager de mon visage.

Je reste là quelques moments, ma valise à mes pieds. Lorsque je tourne la tête, mes yeux glissent sans ma permission pour se connecter avec une paire d’iris sombres. Il n’a pas l’air plus à sa place que moi, et ça me fait sourire. Qui aurait cru que je puisse sourire à Londres. J’aurais juré le contraire. Et voilà qu’à l’instant, sans prévenir, une petite étincelle rend ma vie supportable. Je ne cherche pas ma mère sur le quai, sachant que même si elle a dit qu’elle viendrait me chercher, j’ai probablement un message sur mon portable, disant qu’elle est archi désolée et qu’elle me remboursera le taxi.

Ma main empoigne fermement ma valise, et j’ai soudainement une vue d’ensemble. Un vieux couple se salue, et le jeune homme reste à l’écart. Je fais comme toujours, et de ma démarche sautillante, je me plante en face de lui.

« Et si on disparaissait, ils ne s’en rendront pas compte, je parie . . . » Dis, je en pointant ceux que je crois être ses parents. Deux minutes, deux heures, deux jours, deux années. Je prends ce qu’il voudra bien me donner. Je ne comprends pas les gens qui ont des regrets, je fais ce dont j’ai envie, et c’est tout. Il y a quelque chose de mal là dedans ? Et bien tant pis, je n’agirai pas autrement. Ceux qui ne m’aiment pas peuvent crever en enfer.